Tracy-le-Val pendant la Grande Guerre

Le secteur de Tracy-le-Val a été le lieu de batailles acharnées en septembre et octobre 1914. Le front fut stabilisé à la lisière est du village, qui est resté trois ans sur la ligne de front et a été entièrement détruit.
Mon grand-oncle, Ludovic Hermas, a été tué à Tracy-le-Val dans la nuit du 24 au 25 septembre 1914, au cours de la première bataille. Il appartenait au 3° régiment de marche de zouaves. Comme beaucoup de soldats morts au combat dans le secteur, il est enterré au cimetière militaire national de Tracy-le-Mont, qui est la commune limitrophe à l'orée du plateau.


 

De durs combats en septembre et octobre 1914

En août 1914, la guerre commence par la bataille des frontières, pendant laquelle l'armée allemande oblige les armées françaises à reculer de centaines de kilomètres. À la fin du mois, le front est presque est-ouest et se développe jusqu'aux abords de Paris. Tracy est occupé.

Les Français contre-attaquent : la célèbre bataille de la Marne renverse le mouvement, les Allemands reculent. Mais c'est au prix de batailles tout le long du front, et de contre-attaques allemandes qu'il faut arrêter. Tracy est repris, reperdu, re-repris. Il s'agit de ne pas lâcher prise sur la ligne de front allant de l'Oise aux Vosges, pendant que d'autres corps d'armée, remontant vers la Somme et le Pas-de-Calais se livrent contre les Allemands à la "course à la mer", chacun tentant de déborder l'autre. Septembre 1914 est le mois le plus meurtrier de la guerre (1). Lors de ces combats de septembre et octobre 1914, les zouaves (2) sont déjà présents dans le secteur de Tracy.

  →   bataille des frontières  -  front du 14 au 24 août 14         →   la retraite  -  front du 25 août au 5 septembre         →   bataille de la Marne  -  front du 5 au 15 septembre
        →   course à la mer  -  front du 21 septembre au 6 octobre

Un acte de bravoure des zouaves
drapeau pris à l'ennemi

Le 19 septembre 1914, le zouave Laroche du 3° zouaves s'emparait au Bois Saint-Mard
du drapeau du 85° régiment de Landwehr (régiment d'infanterie bavarois).
.
la photo ci-contre mentionne le 85° et le cahier de photos de fin septembre 1914 porte également la mention manuscrite 85° On lit en général sur internet 86° régiment - cette petite confusion vient de ce que le drapeau fut pris à un bataillon du 86° de réserve, qui avait reçu un drapeau du 85° au début de la guerre

Cet acte symbolique eut un retentissement considérable (on en avait bien besoin après un mois de repli incessant devant la poussée allemande, juste fixée par la bataille de la Marne) et valut au régiment la concession de la médaille militaire en 1919.

 

Trois ans sur la ligne de front

Après la "guerre de mouvement" les belligérants s'enterrent dans des tranchées se faisant face. Le front se stabilise, c'est la "guerre de position". Au cours de ces trois années, de furieuses offensives visent à percer le front, telles que la Somme, le Chemin des Dames, Verdun.

Le secteur de Tracy est en grande partie tenu, du côté français, par les deuxième, troisième et quatrième régiments de zouaves, qui se battent dans le Bois Saint-Mard (dominant Tracy-le-Val) et autour de la ferme de Quennevières (à la sortie nord-est de Tracy-le-Mont, sur la commune de Moulin-sous-Touvent). La réduction du "saillant de Quennevières", qui s'enfonçait dans les lignes françaises, coûtera 8000 hommes hors de combat pour 1000 mètres sur 700.

Le secteur devint un des points de la "guerre des mines" car la pierre du sous-sol se prête à la taille, donc au traçage de galeries. De nombreuses carrières trouaient déjà les coteaux, elles servirent d'abris aux troupes. Les sapeurs percèrent des galeries de mine s'étendant jusqu'aux lignes adverses, permettant d'y déclencher des explosions destructrices.

La Butte aux Zouaves (ou Butte des Zouaves) se situe 1400 m au nord de la ferme de Quennevières. Un groupe de soldats (selon la tradition, une compagnie de zouaves - mais, plus probablement, des sapeurs) y furent ensevelis vivants en 1915 sous la colossale projection de terre causée par une grosse mine. C'est devenu un lieu de recueillement national à la mémoire de tous les zouaves.

En outre, le plateau de Quennevières vit en 1916 des expérimentations de la guerre des gaz.


 

1917-1918 : la guerre s'éloigne puis revient deux fois sur Tracy

En 1917, les Allemands pratiquent un repli stratégique sur la "ligne Hindenburg". Ils se fixent sur des points choisis, sur des reliefs leur donnant l'avantage. Le front s'éloigne de Tracy de 25 km. Au printemps 1918 la "guerre de mouvement" reprend, avec de grandes offensives allemandes. Ceux-ci avancent largement et, en particulier, progressent jusqu'à Tracy qui se trouve à nouveau sur le front. Mais les alliés les repoussent par des contre-offensives générales, qui aboutiront à la victoire.

      →   offensive allemande du printemps 1918, appelée seconde bataille de la Marne     →   offensive alliée finale, parfois appelée offensive des Cent-Jours


 
Le front en 14-17 et ses déplacements en 1917 et 1918
extrait tu tableau d'assemblage des plans reliefs du Service géographique des armées
le front

 

Les photographies de l'église de Tracy-le-Val illustrent ces mouvements du front. La seconde ci-dessous, prise en 1917 après le repli des Allemands sur la ligne Hindenburg (faussement intitulée "La France reconquise" alors qu'il s'agit d'un repli volontaire de l'ennemi), montre l'église détruite au tiers. La nef est encore debout. La dernière vue montre l'église pratiquement rasée suite aux affrontements finaux du printemps et de l'été 1918.


 
L'église de Tracy-le-Val
 
avant la guerreen 1917à la fin de la guerre
église de Tracy-le-Val avant la guerre de 14 église de Tracy-le-Val en 1917 église de Tracy-le-Val en 1918

aujourd'hui, reconstruite à l'identique vers 1930
église de Tracy-le-Val

 

En première ligne au village de Tracy-le-Val

paru dans "Le Miroir de la guerre" du 11 juillet 1915
 
une tranchéel'église de Tracy-le-Vallavoir de campagne à Tracy-le-Mont
tranchée à Tracy-le-Val
église de Tracy-le-Val en 1915
lavoir militaire à Tracy-le-Mont

 

Après la fin du conflit

Le secteur est en "zone rouge", là où les dommages de guerre furent les plus importants. Dans un premier temps, l'État envisagea de ne pas restaurer les emprises où le coût des travaux dépassait la valeur foncière. Mais, partout, les populations et leurs élus voulaient faire revivre leur terre. Tracy-le-Val, totalement détruit, fut reconstruit. L'église, en particulier, a été restaurée à l'identique (voir ci-dessus). Les nouvelles habitations furent construites en briques, alors que, traditionnellement, on les construisait en pierre du pays, extraite des fameuses carrières. Tracy-le-Mont, moins directement touché, garde son ancien aspect. En revanche, la campagne alentour, particulièrement le plateau de Quennevières au nord-est, a subi au plus au point l'impact délétère des combats. Le terrain est resté longtemps criblé d'entonnoirs, puis il fut nivelé, ce qui, avec la repousse des bois, gomme très largement la perception visuelle du passé. C'est dans le sol qu'en subsistent les stigmates.


 

Liens

J'ai intitulé cette page "Tracy-le-Val pendant la Grande Guerre" parce que mon grand-oncle a été tué dans cette commune. Mais le souvenir est plus présent à Tracy-le-Mont, peut-être parce que la nécropole nationale s'y trouve, peut-être parce que ses habitants étaient restés sur place pendant le conflit, le village, légèrement en retrait de la ligne de front, n'ayant pas été rasé ...   Les liens suivants parlent donc plus de Tracy-le-Mont :

le secteur pendant la période d'août 1914 à août 1915 par l'Abbé Callard, curé du village de Tracy-le-Mont.
Tracy-le-Mont au cœur de la tourmente - septembre 1914 par Jean-Michel Nowak
le cimetière militaire de Tracy-le-Mont
• sur Youtube : Cent ans de la Grande Guerre: une promenade mémoire dans l'Oise (circuit autour de Tracy-le-Mont)
le musée territoire 14-18, dont la page Tracy-le-Mont
• Tracy-le-Mont : carrière de la Maison du garde
• photographies de Tracy-le-Val et Quennevières d' Henri Terrier (3)

la Butte des Zouaves
• forum 14-18 : la Butte aux Zouaves et le saillant de Quennevières
La Butte des Zouaves - Quennevières de Didier Guénaff et Jean-Michel Nowak - 230 pages - 2010 - ISBN 978-2-9527751-4-4
guerre des mines   • la guerre souterraine   • la guerre des gaz
• dans Google Earth emplacement de la Butte des Zouaves Google Earth

• autres emplacements dans Google Earth : Ferme de Quennevières Google Earth   -   Maison-Rouge Google Earth (ferme)   -   Calvaire de Maison-Rouge Google Earth (stèle)   -   Lavoir de Bimont Google Earth   -   La Pansée Google Earth   -   Nécropole nationale de Tracy-le-Mont Google Earth

3° zouavesautre page
les régiments de zouaves en 14-18
Les zouaves   • le 3° zouaves (incomplet)

cartographie 1914-1918 (animation du front avec la position journalière des unités)
• sur le site du centenaire, sélection de cartes du SGA

bilan mondial et français des pertes dues à la guerre
pertes et destructions, en particulier dans l'Aisne, l'Oise et la Somme

la mission centenaire 14-18
mémoire des hommes du ministère de la Défense   • sa partie 1° guerre mondiale
l'armée française de l'été 14

 

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L'horreur de la guerre
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La fierté que nous inspire la mémoire de nos aïeux, leur bravoure, leur sacrifice, ne doivent pas masquer l'horreur de la guerre. Sur cette page du site "l'armée française de l'été 14", vous trouverez des passages poignants de "La main coupée" de Blaise Cendrars et de "Civilisation" de Georges Duhamel.   On ne peut échapper en les lisant à un bouillonnement de sentiments contradictoires : approuver ? repousser ? ... on ne peut pas trancher.
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©   D. Césari   contact - Mise à jour le 29 octobre 2014

 

Notes

  1   Compter les vivants et les morts : l'évaluation des pertes françaises de 1914-1918 par Antoine Prost. C'est l'étude critique des sources utilisées pour le rapport sur le nombre de morts, présenté à la Chambre des députés par Louis Marin , député de Meurthe-et-Moselle, qui, depuis, sert de référence. A. Prost montre les fortes incertitudes pesant sur les évaluations du rapport Marin.   Par exemple, la note 8 précise que les pertes françaises en août et septembre 1914 seraient de 235 183 tués et disparus au lieu des 84500 + 99000 = 183500 communément mentionnés, en particulier dans le lien ci-dessus.   Voir aussi Les pertes des nations belligérantes page 37 à 61 du Tome VII des Archives de la Grande Guerre - 1921-02-04, sur Gallica, qui débute par une discussion du "rapport Marin"

Si le mois de septembre 1914 fut le plus meurtrier, le mois d'août l'avait été presque autant (respectivement 99000 et 84500 morts), surtout si l'on tient compte de ce que la guerre ne fut déclarée que le 3, que les hostilités ne commencèrent que le 5 et plutôt le 10 à leur rythme plein dans la bataille des frontières (toutefois, les Allemands avaient envahi le Luxembourg le 2 et la Belgique dans la nuit du 3 au 4). Les pertes quotidiennes les plus élevées sont donc survenues dans les premières semaines du conflit, au cours desquelles les troupes s'affrontaient face à face à découvert. Pour les Français, le jour le plus meurtrier de la guerre fut le 22 août 1914, bataille de Charleroi.

 

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  2   Les zouaves étaient des troupes de soldats d'Afrique du Nord, Algérie, Maroc, Tunisie. Ils étaient composés d'européens vivant sur place, y compris des juifs autochtones ayant accédé à la nationalité française. Pour compléter cette base de recrutement trop étroite, s'ajoutaient des métropolitains volontaires, appelés ou engagés : quelques bataillons, détachés par leur régiment, furent stationnés en métropole pour faciliter l'incorporation des hommes qui en provenaient.
Si les zouaves avaient été fondés à l'origine pour recruter des indigènes musulmans, ils n'en comptèrent donc pratiquement plus à partir de 1841 et ce, jusqu'en 1942, en particulier pendant la guerre de 14-18. Les indigènes étaient regroupés dans des unités de tirailleurs (qui furent également présentes dans le secteur de Tracy). Pendant la guerre de Crimée, les Russes avaient surnommés "Turcos" les tirailleurs algériens . La similitude des uniformes entretenant la confusion, les Allemands d'une part, les habitants du secteur de Tracy de l'autre, eurent tendance à appeler eux aussi les Zouaves Turkos ou Turcos.
Les zouaves étaient tenus pour des troupes de choc et choisis pour l'emporter dans les endroits les plus durs. Deux régiments de zouaves font partie des six régiments les plus décorés de la Grande Guerre (neuf palmes et plus) et trois autres sont dans les 23 premiers (6 palmes et plus).   Au sommet de l'honneur militaire, cinq régiments voient leur drapeau décoré à la fois de la Légion d'Honneur et de la Médaille militaire (qui est la décoration la plus prestigieuse). Le 3° zouaves fait partie des cinq, ainsi qu'un régiment de tirailleurs algériens, un d'infanterie coloniale du Maroc, un de la Légion étrangère et un bataillon de chasseurs à pied. Comme on le voit, l'Armée d'Afrique eut l'occasion de servir la Patrie, et au premier rang ...   Voir Wikipedia : les zouaves

 

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  3   Henri Terrier a photographié la guerre, en particulier dans le secteur de Tracy-le-Val. Mais il ne mentionne de lieu que pour quelques unes de ses vues seulement, en particulier la tranchée des zouaves près de Tracy-le-Val. Sa toilette des zouaves a peut-être été prise au lavoir de Bimont (en contrebas du Bois Saint-Mard). Voir aussi son remarquable zouave tué en marchant à la charge.

 

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